Voir, pleurer, débattre

The Danish Girl

The Danish Girl de Tom Hooper, 20 janvier 2016, 2h

   Je tente un article un peu différent cette fois-ci… Je vais chroniquer le film The Danish Girl de Tom Hooper, puis l’utiliser comme support pour vous parler d’un sujet plus large et engagé (et controversé, c’est vrai). J’espère que ça vous plaira !


   The Danish Girl, donc, est un film américano-britannique-allemand réalisé par Tom Hooper. L’histoire est celle de Lili Elbe, née Einar Wegener, et de son épouse Gerda Wegener. Tous deux peintres danois, ils s’amusent au début à faire jouer à Einar le rôle d’une jeune fille, Lili Elbe, lorsqu’ils sont en société… Jusqu’à ce qu’ils se rendent compte que c’est en fait Einar qui est un déguisement depuis toujours, sous lequel se cache Lili, sa véritable identité. C’est une histoire certes romancée mais vraie : Lili Elbe est la première personne transgenre à avoir subi une chirurgie de réattribution sexuelle en 1930. Le film est aussi adapté de deux livres : le roman éponyme de David Ebershoff sorti en 2000, lui-même librement adapté de l’histoire de Lili et Gerda, et du journal intime de Lili, publié sous le titre de Man into Woman: The First Sex Change. (je n’ai lu aucun des deux, mais je vais y remédier bien vite !)

   Le scénario est donc évidemment le grand point fort du film : vous vous en doutez, c’est un film émouvant. Très. (Je pourrais vous dire que j’ai pleuré, mais sachant que je pleure à peu près toutes les deux minutes, ça ne serait pas très représentatif.)

   Pourtant, et c’est mon principal reproche au film, je pense que ça aurait pu plus l’être, et que cette triste et belle histoire d’amour (parce que c’est quand même aussi axé autour du mariage de Lili et Gerda qui part en morceau au fur et à mesure du film) aurait pu être beaucoup mieux amenée. Disons que le réalisateur se contente de raconter une histoire, avec la fluidité et la facilité habituelle, sauf que dans un film de cette envergure, ça ne suffit pas. On sait très bien que le combat de Lili est terriblement difficile, mais là, il parait presque couler tout seul, sans problème. En bref, j’ai eu l’impression qu’au contraire du fond, la forme était classique, peu travaillée et banale. Je pense que c’est aussi lié au manque de scènes exposant Lili à la violence et au rejet de la société : par exemple, il n’y a qu’une seule scène (et encore, vite oubliée) dans laquelle on la voit se faire tabasser dans une rue. On est d’accord, je ne supporte absolument pas ce genre de violences faites aux personnes transgenres, mais il faut bien avouer qu’en 1930, un « homme » qui se balade avec des habits dits féminins, il n’est pas accepté sans problème partout où il va…

The Danish Girl 2   En revanche, j’ai deux énormes compliments à faire à ce film. Le premier, c’est les acteurs. Ils sont, ils sont, ils sont PARFAITS. J’étais déjà une grande fan de Eddie Redmayne, et mon admiration pour lui a doublé avec ce film : il interprète Lili à la perfection, avec un naturel éblouissant et une émotion à en trembler. Mais j’ai aussi découvert Alicia Vikender, une actrice que je ne connaissais pas et qui joue Gerda Wegener avec un talent exceptionnel : Lili Elbe souffre évidemment des obstacles sur son chemin, mais ça n’est pas facile non plus pour son épouse, loin de là, et Alicia Vikender joue ce rôle avec une authenticité remarquable. Cela, sans parler des autres rôles plus mineurs, mais également très bien interprétés.

   Second point : la mise en scène. C’est splendide. C’est original et extraordinaire. Tom Hooper s’était déjà fait remarquer pour ça dans son film Le discours d’un Roi (à voir absolument si ça n’est pas déjà fait), mais il m’a semblé que c’était encore plus marquant ici. Le jeu des lumières et des couleurs a une place importante dans ce film, ce qui lui donne une atmosphère étonnement chaleureuse, on a parfois l’impression qu’il est une lui-même une des peintures qu’il montre, par exemple lors des nombreuses scènes avec des reflets, dans l’eau, dans des vitres… Le réalisateur fait toujours des choix de cadrage inattendus, que ce soit pour des visages ou pour des (très beaux) paysages, et le résultat est visuellement très réussi.

   Dernier petite chose que j’ai appréciée : l’honnêteté du film. Ça n’est peut-être pas grand chose, mais j’en ai marre de ces blockbusters hollywoodiens qui montrent cent femmes sursexualisées en bikini par minute, mais qui tremblent de peur à l’idée de dévoiler un centimètre carré de peau des personnages principaux. Ici, pas de ça : montrés dans leur vie de tous les jours, les personnages ne se cachent pas. (j’applaudis aussi les acteurs qui ont eu le courage de s’exposer au monde entier ^^)


   Mais il y a aussi autre chose. Si ce film m’a particulièrement touché, c’est aussi parce que je suis très sensibilisée à ce genre de sujets. Vous le savez peut-être, je suis assez engagée dans tout un tas de domaines… notamment les droits LGBTQ+. Le truc, c’est que beaucoup de gens ne sont pas du tout au courant des combats de ce mouvement, et sont du coup transphobiques sans le savoir ou sans le vouloir –et je ne parle pas de ceux qui sont purement et simplement contre.

   J’essaie personnellement de me tenir assez au courant, mais je reste assez ignorante sur pas mal de sujets, donc j’espère ne pas faire de bourdes dans cet article… Quoiqu’il en soit, je voudrais juste essayer de partager un peu ma connaissance, faire réfléchir, voire même ouvrir un débat ! Je vous prévient, toute cette deuxième partie sera consacrée à ce sujet, et ça sera un peu long…

   Je vais débuter par les bases : qu’est-ce qu’une personne transgenre ? C’est une personne qui s’identifie, au moins en partie, à d’autres genres que celui attribué à sa naissance et qui en adopte le mode de vie. Ici, par exemple, Lili Elbe a été assignée au genre masculin à la naissance, mais s’identifie en tant que femme.

   Je ne dis pas « une femme dans un corps d’homme », volontairement, parce que c’est une femme… Et c’est son corps. Donc c’est un corps de femme, non ? Bon, mauvais exemple, puisque dans ce cas-ci, Lili se sent piégée dedans et veut en changer, mais beaucoup de personnes transgenres sont à l’aise avec leur corps, et ne se sentent pas en contradiction avec lui : c’est plutôt la société, en général, qui pose problème, en n’acceptant pas que ces personnes puissent se sentir femme/homme, avoir un corps dit d’homme/de femme, et en être heureux. Tout ça pour dire qu’une personne transgenre ne désire pas forcément modifier son apparence physique ou recevoir une opération de changement de sexe, même si c’est le cas pour la plupart des personnes transgenres. C’est un choix tout à fait personnel.

   (Petite précision : au contraire, les personnes qui s’identifient au genre qui leur a été attribué à leur naissance, soit la très grande majorité de la population, sont appelées « cisgenres« .)

Et ça, c'est le drapeau transgenre !

Et ça, c’est le drapeau transgenre !

   Quelque chose de très important, pour aider à faire avancer cette cause, c’est le vocabulaire. Bizarre, hein ? Et pourtant, ça change tout. Parce que, comme le dit Timothée de Fombelle dans Tobie Lolness, « Les mots sont des combattants de l’ombre. », et que la manière de parler de quelque chose change bien souvent la manière dont la chose est perçue… Premier grand point à respecter : les pronoms. Depuis le début de l’article, je dis « Lili » et « elle », même pour parler d’avant sa transition. Ne croyez pas qu’on « devient » trans à l’âge adulte, ces personnes l’ont toujours été, même si parfois, elles prennent du temps à l’accepter, à le comprendre, comme Lili par exemple. Et une fois qu’elles l’ont fait, qu’elles se sont affirmées telles qu’elles sont, les désigner avec les pronoms qu’elles utilisaient avant peut être très insultant. C’est une question de respect, respect de l’identité de cette personne, de ses choix et de son genre. De même si cette personne, comme Lili, a décidé de changer de prénom. Et vous l’aurez compris, ne dites jamais non plus que quelqu’un est « devenu-e » un homme/une femme/autre !

   C’est aussi beaucoup mieux de parler de « genre » que de « sexe », pour une raison tout simple, c’est que dire « sexe » renvoie directement au corps de la personne, alors que « genre » ne concerne que son ressenti ! Par extension, essayez de ne pas utiliser trop « transsexuel », qui, en théorie, ne s’utilise que pour quelqu’un qui a fait une opération de changement de sexe, mais bon, c’est devenu très courant à la place des termes plus génériques « transgenre » et « transidentitaire ». Si vous avez du mal à savoir quel terme utiliser dans une situation précise, dites « trans », ça regroupe tout ^^ Attention par contre à « travesti » : un-e travesti-e n’est pas forcément une personne transgenre. En général, c’est plutôt une personne cisgenre qui ressent le désir de porter des habits traditionnellement contraire à son genre. C’est très insultant d’appeler une personne trans « travestie », parce que ça remet en cause son ressenti personnel et le fait passer pour un simple déguisement.

   Autre chose : l’identité de genre est tout à fait indépendante de l’orientation amoureuse ! On peut être transgenre et hétéro, gay, bisexuel, pansexuel, asexuel… Bref, exactement comme une personne cisgenre.

   Les chiffres sont difficiles à obtenir, tout ce que j’ai trouvé, c’est que 1 adulte sur 300 est transgenre aux États-Unis*. En revanche, de nombreuses études montrent que ces personnes sont très nombreuses à subir des violences, des viols, et même des meurtres. 41% d’entres elles ont déjà fait des tentatives de suicides**.

   Actuellement, les activistes essayent d’obtenir plusieurs droits pour les personnes transgenres –qui ont la vie bien difficile, entre les violences qui leur sont faites et les difficultés à être acceptés, souvent à cause de l’ignorance des gens dont je vous parlais tout à l’heure. Le principal combat, c’est celui pour obtenir un changement d’état civil plus facile : si on veut changer son genre sur ses papiers d’identité, en France, il faut beaucoup de démarches très compliquées, dont… la stérilisation. Sympa. Pour quelque chose d’aussi élémentaire que de faire correspondre ton ressenti à ton état civil, tu es obligé de passer par la case « renoncer pour toujours à donner naissance ». Enfin, on n’est pas les pires : certains pays d’Europe refusent tout simplement le changement d’état civil. Mais dans beaucoup d’autres pays, ce changement devient de plus en plus facile… Espérons que la France suive le mouvement.

   Bon, je pourrais continuer des pages et des pages, notamment en vous parlant des identités de genres qui ne tombent ni dans homme, ni dans femme (genderfluid, queergender, non-binaire, intergenre, etc), mais mon article est déjà vraiment beaucoup trop long… Si vous êtes intéressés (et vraiment, tout le monde devrait l’être !), je vous balance quand même tout plein de liens chouettes pour s’informer un peu mieux : un, deux, trois articles de MadMoiZelle, il y en a beaucoup d’autres sur le sujet sur ce site génialissime, une vidéo de Lacey Green (en anglais mais avec des sous-titres français disponibles) qui parle aussi beaucoup de sujets LGBTQ+, et enfin, le blog tumblr. d’une artiste québécoise qui vous montre en BD le point de vue d’une petite fille trangsenre (je suis pas fan perso, mais on apprend plein de trucs).

   En attendant, même sans vous engager corps et âme dans ce combat vers la tolérance, vous pouvez faire bouger un petit, petit peu les choses en adoptant le bon vocabulaire et en en parlant autour de vous 🙂

   ET ALLEZ VOIR THE DANISH GIRL.

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13 réflexions sur “Voir, pleurer, débattre

  1. Vous m’avez donné envie de le voir, alors c’est fait ! Je n’ai pas été déçu, Eddie Redmayne est en effet très bon, ce film est magnifique. Alicia est superbe aussi.

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  2. C’est un article super intéressant ! 😀
    The Danish Girl me tente beaucoup, j’avais déjà vu Alicia Vikender dans Sublimes Créatures, mais j’ai hâte de voir comment elle joue dans ce film ! ^^
    C’est un sujet vraiment intéressant duquel on ne parle pas assez, et sur lequel on a tendance à avoir pas mal de préjugés, donc merci pour cet article ! ^-^

    Camille 🙂

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    • Merci ! En plus, j’ai vu l’autre jour qu’il a gagné quatre oscars, dont celui du meilleur acteur pour Eddie Redmayne et celui de la meilleure actrice dans un second rôle pour Alicia Vikender !
      Oui, peu de gens sont informés sur ce sujet ^^ Je suis contente que ça t’intéresse 🙂

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  3. Super article ! J’avais déjà envie d’aller voir « The Danish Girl », mais là, c’est sûr, il n’y a plus à hésiter.
    J’aime beaucoup ton article, je trouve ça bien de mêler actualité et engagements. Et puis ça aide des gens qui ne s’y connaissent pas tellement (moi!!!) à s’y retrouver et commencer/continuer à se faire un début d’avis, donc merci beaucoup pour ton article super utile 😉

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  4. merci beaucoup pour cet article; je pense que tu devrais faire un article complet sur ton combat LGBTQ+ (même si je ne sais pas vraiment ce que ça veut dire… honte à moi). Et éventuellement sur tes autres « combats », puisque tu sembles très engagée 🙂

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    • Oh, ton commentaire me fait super plaisir ! Merci à toi ^^ LGBTQ+, ça veut dire Lesbians, Gays, Bisexuals, Transgender, Questioning et plus. En gros, ça regroupe tout ce qui n’est pas cisgenre et hétérosexuel. Mais en général, les gens réduisent à LGBT 🙂
      Je ne suis pas contre, mais ça sort un peu du thème du blog ^^ On a déjà un peu hésité à poster celui-là, mais je suis contente que ça te plaise !

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